Juliette a 35 ans. Elle a choisi de faire une psychothérapie il y a quelques mois car elle ne comprend pas pourquoi elle n’arrive pas à garder un travail plus de 6 mois. Juliette travaille actuellement dans une startup pour développer des sites web, elle y est depuis 4 mois. Et ce travail ! Elle voudrait pouvoir le garder. Les gens sont sympathiques, l’ambiance de travail est détendue et les projets intéressants. Mais elle le sent déjà, elle commence à moins bien se sentir.
Après quelques séances avec son thérapeute, elle a le sentiment d’avoir mis à plat pas mal de problématiques. Elle a compris en particulier son besoin d’être beaucoup dans la découverte et que l’ennui la gagne vite. Et d’ailleurs, elle trouve que son travail thérapeutique commence à tourner en rond.
Le travail en thérapie est un cheminement qui peut paraitre long. Parfois, l’idée de comprendre ce qui se passe est associée au changement attendu lors de la venue en séance avec le thérapeute. Mais est-ce que comprendre cela suffit vraiment ?
Ce n’est pas toujours le cas. Ce que la tête comprend n’est pas toujours associé au changement. Pourquoi ? Car au-delà des mots, étape essentielle, il y a aussi l’intégration de l’information. Et c’est ce processus qui peut être semé de doute, de résistance, d’émotions et d’exploration complexe. C’est ce qui explique aussi la sensation de blocage qui peut être agaçant et frustrant.
Pour illustrer ce propos, prenons l’exemple de l’apprentissage de la fabrication d’un gâteau au chocolat. Une telle métaphore peut commencer par faire sourire. Ce qui était le but premier. Fait-on réellement une thérapie comme un gâteau au chocolat ? C’est un point de vue bien sûr, mais aussi un moyen de décrire le processus thérapeutique. Car il s’agit bien d’apprendre dans les deux cas l’idée du comment ! Comment faire ? Comment cela se passe ? Quelles sont les étapes d’un tel apprentissage ? Car la thérapie, par certains côtés, est un apprentissage. C’est aussi, un décryptage.
Revenons au gâteau au chocolat. Toutes les familles ont une connaissance du gâteau au chocolat. Cette connaissance a été transmise, de manière plus ou moins élaborée aux enfants que nous étions. C’est notre lieu d’apprentissage premier, c’est là que nous avons été imprégnés de la « recette familiale » du « comment faire » dans la vie pour le gâteau au chocolat. Les ingrédients, le mélange, le goût, la cuisson, la dégustation, le plaisir, la critique, le livre « bible » référence, les dogmes, le droit à l’erreur, comment apprendre….
A l’âge adulte, certains savent qu’ils aiment le gâteau au chocolat mais ne savent pas le faire. D’autres savent comment s’en procurer mais n’ont pas idée réellement de combien cela peut être bon. D’autres sont gardiens de la recette familiale et n’en déroge pas, voir jamais. D’autres sont des artistes de compositions chocolatières explorant les aspects divers et variés du gâteau et du chocolat. D’autres auront banni le gâteau au chocolat car depuis toujours cela a été un enfer ou qu’ils se sentent trop nuls. Ce ne sont que quelques échantillons du vécu « gâteau au chocolat »
Et puis un jour le « gâteau au chocolat » devient un problème. Alors au thérapeute sera exposé le problème : Le gâteau au chocolat est indigeste ! Il me fait souffrir ! Je ne sais pas faire ! Le gâteau au chocolat est la cause de ma rupture sentimentale ! C’est à cause de lui que je n’ai plus ou pas de famille ! Je n’arrive pas à garder mon travail !
La thérapie va commencer par l’apprentissage. Le thérapeute sera-t-il compétent pour parler gâteau ? Pour parler Chocolat ? Va-t-il entendre mes problématiques ? Va-t-il m’aider à comprendre ? Le thérapeute va aller à la rencontre de la personne qui veut cheminer sur la route du « aller mieux ». Et petit à petit tous les champs vont être explorés. La pensée. Les émotions. Les ressentis. Les liens. Les fonctionnements. Les relations. Les actes. Autours du gâteau au chocolat. Et le décryptage est là pour donner du sens, voir ce que l’on ne voit pas, parler de ce que l’on a oublié. Débroussailler.
Déconstruire et reconstruire. Parfois le gâteau au chocolat restera le même mais la façon que l’on aura de le vivre et de l’appréhender sera différente. Apaisé en fin de thérapie. Le promeneur sera devenu autonome et libre de choisir comment vivre le gâteau au chocolat en accord avec lui-même et son environnement.
De la créativité à la simplification la vision du problème sera plus claire et travaillée sur les trois registres de la pensée, du ressenti et de l’action. Quelques soient les décisions face aux problématiques du Gâteau au chocolat du passé, les décisions ou redécisions de celui de l’ici et maintenant, du présent seront, en conscience accordées à ce que les découvertes de la thérapie auront données et tournées vers un futur plus choisi.
Le Gâteau au chocolat de Juliette est une recette pleine d’ingrédients qui lui disent comment entrer en relation avec les autres et le groupe professionnel : Ils lui disent qu’il faut se dépêcher de réussir dans la vie et que le temps passer à construire une relation est du temps perdu. Pas de place pour l’intimité autours des casseroles, pour les dégustations complices d’une table. Il faut pour réussir le gâteau au chocolat ne compter que sur soi. En même temps les valeurs qui lui ont été donné sont celles de la persévérance, du respect du travail bien fait et de la fidélité dans le travail.
Voilà Juliette coincée car les messages sont incompatibles. Rester, persévérer et faire du bon travail dans la durée et partir vite fait et bien fait.
Juliette est donc capable de faire du très bon travail, très vite, du coup elle s’ennuie. Mais elle ne peut construire plus avant car le degré d’investissement inclue une forme relationnelle qui lui est interdit. Une injonction qui lui dit que travailler avec les autres est dangereux et la rend vulnérable.
Travailler sur la notion d’intimité, le tempo relationnel, les enjeux, les peurs et les angoisses dans la relation à l’autre a été un travail long dans le temps pour Juliette.
Pour reprendre la métaphore du gâteau au chocolat, Juliette n’a pas abandonné la recette, elle a choisi de la revisiter en choisissant ce qu’elle gardait et ce qu’elle laissait. Elle a ajouté des ingrédients, appris une nouvelle façon de le cuire. Avec la thérapie elle ne s’est pas arrêté là. Elle a appris à dresser une table à sa façon pour accueillir véritablement l’autre, choisissant qui y inviter et comment partager.
Pour reprendre son quotidien, Juliette n’a pas gardé ce travail finalement, car elle a découvert qu’il ne correspondait pas à ces envies, besoins, et objectifs. Elle a choisi le suivant selon des critères en conscience et accordés à elle- même. Elle n’a plus changé d’entreprise, elle construit son activité, toujours rapide et efficace mais avec des perspectives différentes. Et surtout, elle le vit bien, en accord avec elle-même et dans une relation apaisée aux autres.
Cheminer en thérapie n’est pas une feuille de route définie au départ. Ce n’est pas un objectif connu. C’est une balade qui prend différents aspects, une ouverture vers la prise de conscience, un apprentissage de compétences que l’on n’a pas au départ, une redéfinition de ce qui nous appartient. C’est une tranche de vie qui n’a pas de limite dans le temps et qui se construit au cours du temps. C’est ce que Juliette a appris dans l’espace thérapeutique et qu’elle a su transposer dans sa vie.